Physical Address
304 North Cardinal St.
Dorchester Center, MA 02124
Physical Address
304 North Cardinal St.
Dorchester Center, MA 02124
Cette année, la saison met du temps à démarrer. Dans mon champ, les légumes poussent lentement à cause de la pluie et des nuits fraîches. Je récolte moins, mais je travaille autant. Pour la première fois, après neuf années de maraîchage, j’estime que je mérite mieux qu’un faible revenu. Pour autant, je refuse de trimer 70 heures par semaine, pour obtenir un revenu décent.
Je travaille donc 35 heures, pour un revenu indécent. Et je vois mes amis partir en Bretagne, en Sicile, pendant que je reste au champ. Les après-midi, mes enfants se rendent à la piscine municipale, tandis que je vais travailler. Un sentiment d’injustice me traverse alors. Le soir, le corps lourd, la pensée usée, je regarde les infos et la France qui se cherche un premier ministre. Ce bal des candidatures laisse un goût amer.
En devenant paysan, j’ai cessé de croire à la fin du travail. L’idée alléchante que le progrès nous délivrera un jour de la nécessité m’apparaît aujourd’hui comme un leurre. Car il faudra un travail gigantesque pour réduire l’usage des pesticides, des énergies fossiles, tout en relocalisant la production agricole. Est-ce que nous voulons changer nos manières de vivre, ou continuer d’importer notre alimentation, et faire travailler les autres à notre place ?
Mais qui veut travailler à temps plein pour un revenu en dessous du smic ? Un éleveur laitier me disait : « Il y a du travail pour deux, mais du revenu pour un seul. » Il faudra bien que les politiques résolvent cette équation impossible du monde agricole. Ce problème économique en cache un autre, tout aussi grave.
La gauche, et cela me désole, imagine difficilement qu’une culture populaire puisse encore exister dans les campagnes. Une fête votive, un rallye automobile, des feux d’artifice ou de la Saint-Jean, une fête des labours, des moissons ou des vieux engins agricoles… ne semblent pour constituer des formes culturelles légitimes.
Jean-Luc Mélenchon parle de « la nouvelle France » [urbaine et issue de l’immigration], comme s’il voulait organiser une bataille culturelle avec « l’ancienne », qui n’a rien demandé. Ce n’est pas du mépris de classe. Plutôt une méprise. La « méprise », c’est confondre le racisme qui existe parfois dans les campagnes, avec une volonté honnête de préserver des traditions. C’est ne pas lui reconnaître le droit à une culture différente de celle des métropoles. Cette méprise offre littéralement les campagnes populaires à l’extrême droite.
Il vous reste 44.74% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.